Article de press dans le magazine Yegg
Article publié dans Yegg, magazine féminin rennais, N°64 – décembre 2017
Celle qui se frotte aux textes
Le théâtre, elle y est venue par le biais de la littérature. Noëlle Keruzoré cultive depuis longtemps le goût des textes. « J’étais étudiante à Rennes 2, et ensuite à Lille 3 en traduction de l’anglais, avec une spécialisation en rédaction de sous-titres et dialogues de doublage. », explique-t- elle.
À l’école Florent à Paris, puis à la London Academy of Music and Dramatic Arts à Londres, elle apprend la relation aux partenaires, le frottement à la langue, le rapprochement avec les personnages et découvre une approche du jeu grâce à laquelle le/la comédien-ne se met au service d’une œuvre et/ou d’un-e metteur-e en scène.
L’attirance pour la mise en scène va fleurir après sa formation, d’abord au sein d’une compagnie dans laquelle elle et ses partenaires sont amené-e-s à réfléchir à leur projet et leurs envies : « Je me suis aperçue que je n’avais pas forcément le goût de jouer tel ou tel personnage.
Le glissement s’est fait au fil de ma pratique et de ma réflexion. L’affinement du point de vue permet de se situer et puis, on se dit qu’il faut finir par se lancer ! Le projet suivant a été plus personnel. » De son glissement vers la mise en scène, elle glisse désormais vers la recherche.
Et quoi de plus logiquement alambiqué pour une amoureuse des mots que de s’attaquer à la Pataphysique à travers un texte de l’écrivain Jean-Pierre Brisset ? « J’avais besoin d’un temps de plateau pour constater que des passages que j’aimais ne passait pas dans l’espace scénique. J’ai besoin de tester, d’expérimenter, d’avoir beaucoup de matériaux puis d’affiner. Pour élaborer le langage du plateau. », souligne-t-elle.
Sa carrière prend un nouveau tournant à la naissance de ses enfants. Elle s’éloigne de la création pour se rapprocher de la transmission, auprès des élèves de l’école du TNB, tout d’abord. C’est avec eux qu’elle va se frotter à l’écriture, d’encore plus près, en les faisant travailler en 2014 sur Uncut, un projet du nom d’un collectif de théâtre anglais, initié en 2011. L’idée : proposer à 5 auteur-e-s dramatiques d’écrire des formes courtes – ensuite libres de droits durant deux mois – sur un thème donné, en très peu de temps.
Happée par le concept, la vitalité et la spontanéité qui s’en dégage, Noëlle Kéruzoré ne va plus lâcher le projet et embarquer avec elle, entre autre, l’écrivain Ronan Mancec et la metteure en scène Frédérique Mingant. « On a créé un noyau de réflexion à plusieurs. Ça donne d’autres endroits d’actions et de rencontres. Je n’avais encore jamais expérimenté les choses de cette manière.
Quand on bosse sur une pièce, sur une création, on peut se sentir isolé-e-s, en circuit fermé. Là, ça ouvre les échanges ! », se passionne-t-elle. Son enthousiasme est contagieux. Et sa volonté de faire évoluer les choses autour de son fil rouge – à savoir la restitution et la transmission – est enivrante.
Cette année, la lecture des textes, autour de la post vérité, qui pour la première fois incluait des auteur-e-s français-es, avait lieu le 21 novembre au Triangle, là où Noëlle est professeure de théâtre et où elle propose des ateliers basés sur le mouvement Alexander, auquel elle a été initiée durant ses études en Angleterre.
« C’est un outil dont je me suis servie tout de suite pour entrer en scène, pour m’aider à me préparer. J’ai le goût des textes mais aussi celui de l’histoire des corps sur scène. », souligne-t-elle. Ce mouvement est un réapprentissage complet des habitudes d’usage et posturale dont l’idée « est de faire moins.
On n’est pas dans l’idée de modifier ou de corriger, qui est un peu culpabilisante et péjorative. Mais dans le faire moins, dans le corps : moins de tensions, moins de blocages, moins de pressions, moins d’appuis. Il y a vraiment un rapport à une liberté possible, par rapport à une action de soi. C’est un processus de recherches continues. »
Un mouvement plein d’énergie positive, « qui remet de l’élan là où c’est sclérosé », qui vise aussi à se repositionner en tant que sujet, dans sa capacité à être au monde au présent et à lutter, et ça ça nous plaît bien, « contre les injonctions permanentes vis-à-vis de soi parce qu’on se met souvent en esclavage par rapport à nous-même ».
Marine Combe